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9 janvier 2009

Non, la guerre de générations n’aura pas lieu, merci Papa !

tabouna« Toi étranger, toi voyageur, si tu arrives dans un village où tu ne vois aucun cheveu blanc, ramasse ta bandoulière et sauves-toi au plus vite : ce lieu n’est pas sûr ! » C’est une sagesse africaine que je prends, bien sûr, mais avec des pincettes, parce que…

Un village où l’on ne voit plus aucun vieux ni aucune vieille, ce lieu est effectivement dans tous les risques d’implosion, à la moindre étincelle entre ses habitants, tous jeunes, donc sanguins et étourdis, parce que ne pouvant s’adosser à aucun conseil d’aînés moulus par l’expérience de la vie et dépositaires de la sagesse.

Je suis bien d’accord, mais j’aurais été plus rassuré, si je trouvais ces vieux et ces vieilles, paisiblement installés dans leurs hamacs, sur les terrasses des cases ou à l’ombre de l’arbre familier, promenant leur regard calme et vigilant sur la progéniture et dispensant conseils et modes d’emploi.

Je serais encore plus à l’aise si je trouvais ces vieilles personnes sur le perron de la mosquée ou de la paroisse, égrenant le chapelet, priant pour la génération montante ou devisant sur la vie, ses merveilles, ses déboires et les limites de l’humain.

Je serais profondément touché et intimement reconnaissant à cette sagesse qui, naturellement, me servirait de socle rassurant pour la traversée de cette vie d’embûches, parce que cette sagesse-là, fruit de l’âge et creuset de l’expérience, serait toujours le ruisseau inaltérable et inépuisable dans lequel je viendrais, à chaque fois, me ressourcer pour la bataille du quotidien.

Par contre, je serai autant désarçonné et désabusé, si je rencontrais ces vieux ou vieilles, la serpette ou la daba à l’épaule, sur le sentier des champs, ou dans les prairies, entrain de labourer, s’échiner pour la pitance de la survie, s’attelant ainsi, à un rôle, naturellement et logiquement dévolu à moi, avec ma jeunesse, ma vigueur, ma hargne…

Je serai autant désarçonné que je me trouverai dans un dilemme où la logique est trahie, où toutes les règles de vie et de décence sont faussées, où la normalité est prise à l’envers, où mes croyances héritées de mon éducation africaine seraient nettement ébranlées !

Et alors, avec tout le respect et toute la reconnaissance que je leur dois, je serais amené à crier : « Non, papa, non maman, tu n’es plus à ta place ! ». 

Papa, non, toi aussi : sois gentil papa, alleeez paapppaa…, cède la place, passe-moi la passe, laisse-moi jouer ma partition, mets-moi à l’épreuve,  laisse-moi te redresser l’échine !

Toi aussi, papa ! Tu as tellement fait : tu m’as enfanté, tu m’as bordé, tu m’as bercé, tu m’as mis à l’école, tu m’as enseigné, tu m’as éduqué, tu m’as choisi un métier, tu m’as ouvert une carrière, tu m’as entrebâillé les portes de la vie active, de la vie responsable…

Toi, papa, tu es si gentil, si merveilleux, si grand, si sage ! Papa, je ne te connais pas méchant, je ne te vois pas égoïste, je refuse de te percevoir gourmand. Et le premier qui osera me dire que tu es insatiable, sois sûr, papa, il recevra mon poing sur son menton.

Papa, regarde comme tu es grand, comme tu es beau ! Mais, papa, vois aussi comment cette fichtre vie de tant de labeur, de tant de sacrifices, de tant de combats héroïques, regarde comment cette impitoyable vie a agi sur ta beauté ? Regarde ces maudits rides qui commencent à faire des sillons sur tes joues si rondes avant, tes cheveux qui tendent inexorablement vers du coton, tes épaules qui commencent à s’affaisser, à force d’avoir porté tant de poids et de responsabilités, pour la Guinée, pour l’Afrique, pour le monde.

Papa, vois-tu les photos, au mur de notre salon ? Quelle grande vie elles retracent de toi, de ton combat, de tes exploits, pour notre famille, pour notre nation, pour ton futur, c'est-à-dire aujourd’hui, mon présent, mon époque, mon temps : le temps de la relève.

Sur ces photos, papa, je te vois freluquet, les cheveux en « boby », la ceinture bien haute sur une culotte bien trop longue pour une culotte, les chaussettes en format footballeur, au dessus des genoux, et cette grosse et belle cravate qui barre le tout jusqu’à la braguette, sur une chemise trop ample à mon goût. Mais quand même papa, maman aussi, cette vieille blanchie que je chéris tant, n’était pas si mal hein, je t’assure, vieux vicieuuuux, vas !

Bon, au sérieux papa : peux-tu accepter de te reposer maintenant, pour me donner enfin la chance et l’occasion de faire, moi aussi, mes preuves au service de cette Nation, pour laquelle tu t’es tant donné, à laquelle tu as tout donné ?

Papa, tu étais de la lutte dans l’indépendance (maman n’étais pas encore née, tu me l’as dit). Tu es un héro, avec tes compagnons de tranchées, de meetings et de clandestinité (dont la plupart sont déjà dans l’au-delà, tu me l’as dit), tu as affronté ce méchant colon, tu nous as arraché de ses immondes griffes, merci papa !

Papa, tu étais au front, dans les troupes coloniales, transi par les rigueurs de l’hiver, sous des cieux aussi lointains qu’inconnus. Tu n’as jamais flanché, tu t’es envolé de victoire en victoire (tu me l’as conté), tu as bravé le feu, tutoyé la mort, le front haut, le cœur vaillant, intrépide soldat d’une cause qui était loin d’être la nôtre, qu’importe !

Dès le premier son de clairon faisant l’appel de ta Patrie, tu as sauté dans le premier bateau, pour la terre de tes ancêtres, la terre à nous, merci papa !

Papa, tu as fait tous les métiers, appris tous les enseignements, participé à tous les combats, entré dans toutes les structures de ce pays. Tu as joué tous les rôles, assumé toutes les missions. Tu as été, pêle-mêle et tout à la fois : commis, agent, secrétaire, chef, directeur, gouverneur, fédéral, ambassadeur, ministre, camarade…, et puis, excellence, sous-préfet, maire, préfet, président de CRD, et encore ministre, gouverneur, ambassadeur… et encore, et encore, et tout le temps, et toujours…

Papa, tu as eu le privilège très rare, d’avoir été aux trois grands rendez-vous de notre pays avec l’Histoire : tu étais là, le 2 Octobre 1958. Tu as assumé et savouré. Tu étais en action, le 3 Avril 1984. Tu as géré et profité. Te voici encore, rôdant au tour des hommes du 23 Décembre 2008... Ah, Dieu !

Mais, entre nous, dis-moi papa : te rends-tu compte que pendant tout ce temps, je grandis, moi aussi ? Observe-tu que tu te dépenses et tu dépenses ainsi, tout ce temps, avec cette hargne et cette abnégation si louables, pour assurer ta relève, c'est-à-dire moi ?

Mais te rends-tu compte, en même temps, que je ne peux faire mon apprentissage et assumer mes exercices de la vie pratique qu’en te succédant, c'est-à-dire, en te remplaçant, c'est-à-dire en prenant ta place ?

Acceptes-tu seulement de comprendre que ce cycle du changement et du renouvellement est une règle inévitable et contraignante de la vie ?

Non, papa, là…, je ne crois pas que cela, tu le comprennes ! Ou alors, je ne crois pas que tu veuilles l’accepter, que tu penses à t’y engager.

Or, papa, toi qui es si sage et si grand, tu aurais dû comprendre et accepter, qu’il y a toujours un temps où l’homme doit se dire : « stop, j’arrête ! » 

Oui, j’arrrrrêête ! Même si ce n’est pas par impotence ou par incapacité physique, mais pour booster la Nation en lui offrant du sang neuf, des pratiques neuves, une vision neuve.

« La sénilité est un naufrage ! », s’était écrié le Général Charles De Gaulle, dans un oui impuissant face au destin. Un oui qui sonnait cependant comme un ouf ! Le cœur ne vieillit pas. A moins d’être malade, il battra toujours à sa cadence, avec ses mêmes élans, ses mêmes volontés, ses mêmes passions. Mais, oh Dieu, cette carapace qui le porte et qu’on nomme le corps, ce squelette et ces nerfs périssables, subissent insidieusement les aléas du temps et finiront imparablement par ne plus tenir, un jour. Ploc !!!

Ne serait-il pas le temps de rentrer sagement dans sa baignoire, pour se redécouvrir attentivement devant le miroir, talocher sa poitrine par fierté pour tout ce que l’on aura déjà accompli de beau et de grand pour sa Patrie, mais aussi, frapper son égo, étrangler son égoïsme tout humain et tout naturel, s’offrir du recul et se dire : « çà suffit !!! » ?

Dis, papa, tu me comprends… ? Alleeez, sois gentil comme tu l’as toujours été, sois sage comme chacun le sait de toi, sois généreux comme nous te le connaissons : retire-toi pour savourer ton repos si mérité, prends ta place dans le hamac ancestral pour rester pour moi, pour nous, un rempart où je viendrai chaque fois m’adosser, pour repartir sur le bon pied, revigoré, ragaillardi et orienté pour d’autres étapes toujours plus ardus, encore plus exaltants et plus nobles dans le combat de la Patrie.

Alloooons, papa, cède la place, passe-moi la passe, vas-y sagement et volontairement, pour nous épargner la malédiction de t’obliger à te retirer par nos voies et moyens de jeunes, des démarches souvent regrettables.

Ces méthodes irrespectueuses et désobligeantes, j’aurais souhaité les voir appliquer à d’autres : ces insatiables étourdis qui, dans les rouages depuis cinquante ans, ont fini par se faire à l’idée que le Guinéen et toutes ses possessions sont devenus leur propriété personnelle, ces demeurés qui, ne pipant que dalle à la notion de « service public », pensent fermement que l’agent affecté sous leurs ordres est un esclave de leur grand père, ces sangsues qui s’accrochent désespérément aux titres, aux postes et aux gloires, parce que ne pouvant rien réussir d’autre dans la vie, si ce n’est l’aumône public, qu’ils ont d’ailleurs pris l’habitude de ne plus attendre qu’on leur offre, mais à se l’adjuger avec arrogance et mépris envers le propriétaire souverain de tous ces biens : le Peuple.

Epargne-moi, papa, de t’associer à cette horde de charognards qui s’évertuent toujours à dépecer ma vie, qui s’ingénient toujours à me voler ma jeunesse : c’est moi qui ai l’âge de la Guinée indépendante, moi dont l’âge tourne autour de la cinquantaine. C’est mon fils, ton petit-fils, qui a l’âge du régime du « Redressement », il est né en 1980, il a 28 ans passés. Mais quand je viens aux réunions de notre Parti, on m’appelle « jeune », et quand je rentre à la maison, mes enfants m’appelle « Doyen » en ma présence, et « le Vieux » dès que je tourne le dos.

Vois-tu, papa, que ta persistance à occuper inlassablement les postes, m’a usurpé mon statut ? Si je n’y prends garde, je resterai toujours jeune du parti, jusqu’à mes soixante ans. Trouves-tu normale une telle situation incongrue de non-situation sociale ? 

Non, papa, tu es si compréhensif, que tu nous éviteras le conflit des générations, ces absurdes affrontements qui n’arrangeront nullement notre Patrie. Au contraire !

Vas, papa, j’ai déjà dis à mes compagnons que, comme celle de Troie, la guerre de générations n’aura pas lieu en Guinée. Parce qu’elle n’a aucune raison d’être. La transition présente se voulant exempt de tout acte barbare, comme l’ont proclamé ses initiateurs, aide-nous, papa, à ne pas nous salir les mains, à ne pas nous salir face à l’Histoire.

Alleeeez, paaapa, le monde nous observe ! Et comme en 1958, quand toi et tes compagnons, vous avez montré la voie vers la dignité et la souveraineté aux autres colonies, aides-nous, en cette année charnière de notre Histoire, à montrer aux autres peuples d’Afrique et du monde, la meilleure et saine voie, une cinglante leçon de sortie civilisée de crise, pour une Nation en convalescence !

Si tu le fais, papa, si tu m’écoutes et m’accompagnes, au lieu de me distraire ou me déstabiliser dans mon élan, mes options et mes démarches, papa, tu m’auras offert le plus gros cadeau que je puisse espérer de toi, un ultime et insigne cadeau à la Guinée et à son vaillant peuple, ce peuple orphelin qui soupire, ce peuple tant martyrisé qui espère.

Fodé Tass Sylla

Rédacteur en Chef

     

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